samedi 23 décembre 2023

Line Chapitre 2 (José)

Assister aux funérailles d’Adeline me déprime. Nous sommes allées dans les mêmes écoles. Elle n’était mon aînée que de quelques mois. En janvier dernier, elle me disait : « N’oublie pas ! Réserve le dix-huit juin, c’est un samedi. Je vais fêter dignement mes septante-cinq ans. Qui sait si j’aurai l’occasion de le faire pour mes quatre-vingts. Alors profitons-en ! » La pauvre, elle est partie avant. C’est le problème quand on vieillit, on voit petit à petit disparaître ses connaissances.

La célébration religieuse a été vite expédiée. Le nouveau curé n’a pas eu le temps de connaître Adeline. Du coup il n’a dit que des banalités à son sujet.

Il n’y a que des vieilles dans cette salle paroissiale ! J’en connais plusieurs que j’ai à peine reconnues tant l’âge les a changées. Et leurs conversations sont d’un ennui mortel !

J’ai souvent l’impression d’avoir tout au plus quarante ans. Mais ce n’est plus le cas. Quand ce n’est pas le corps qui le rappelle, ce sont les événements qui s’en chargent.

Je n’ai encore rien prévu pour fêter mes septante-cinq ans. Et je me dis que la vie dont je dispose encore paraît bien courte. Il y a tant de choses que j’aimerais faire, tant d’expériences que j’aimerais vivre. Si j’organise une petite fête de famille, je me demande si Françoise, ma fille qui est grand-mère maintenant (cela veut donc dire que je suis arrière-grand-mère ! presque un fossile), pourra y assister. Je l’entends déjà me dire qu’elle doit s’occuper du bébé. Son autre fille, la tante du nouveau-né, ne s’intéresse qu’à son compagnon et à sa carrière. Je ne l'ai plus vue depuis son mariage. Et Alexis, mon fils, est toujours de l’autre côté de la planète.

Je pourrai aussi fêter cela avec Maxime. Nous sommes de plus en plus proches et l’écart d’âge entre nous ne semble pas le gêner. Il y a pourtant des choses qu’il ne m’a pas encore dites, un silence et peut-être même un secret qu’il retient. Par peur ? Par manque de confiance ?

Il parle justement à Sylvie, la voisine d’Adeline. C’est vrai qu’il va aussi parfois chez elle pour quelques travaux de jardinage. Il me regarde et me sourit. Et c’est la vie qui revient dans cet endroit sinistre.

J’ai retenu que son anniversaire tombe le mois prochain. Mais je n’en connais pas la date précise. Oserais-je l’inviter à manger ? J’espère qu’il me confiera ce qui l’attriste et met encore une distance entre nous.

Si les choses évoluent comme je l’espère, comment réagiront les autres ? Le jugement de mes amies ne m’importe guère. Si elles m’aiment vraiment, elles accepteront la situation. Sinon cela me prouvera que cette amitié n’est que superficielle. Ce qui me tracasse plus ce sont les réactions de Françoise et surtout celles d’Alexis. Il est parfois tellement vieux jeu et coincé, mon fils, si différent de moi ! Le monde professionnel de la finance ne l’a pas aidé à évoluer. Plus il vieillit plus il devient conservateur. Emily, sa fille, me l’a assez souvent répété. Elle, elle me comprendra, j’en suis sûre. Elle se réjouira pour moi. Par contre j’ignore complétement ce que sera la réaction des enfants de Françoise. Ce n’est pas parce qu’on est jeune qu’on est plus tolérant.

Mais je trace peut-être des plans sur la comète. C’est vrai que la solitude me pèse. Et que mon corps a encore envie et même besoin d’être touché, caressé. Oui, je veux encore connaître le plaisir ! En quoi cela serait-il mal ? Je n’éprouve pas le besoin d’aller me confesser. Oui, Maxime me trouble. Son corps hante mes rêves et trouble mon sommeil. J’ai devant lui l’âme d’une adolescente, pleine de désir et de crainte.

Est-ce ridicule lorsqu’on est à l’automne de sa vie ? L’automne n’est-il pas la saison où les couleurs se font les plus vives et chatoyantes avant le froid de l’hiver et la mort ? C’est aussi la saison des récoltes, des fruits mûrs. J’ai encore et toujours envie d’y mordre à pleines dents. Je veux vivre !

4 commentaires:

  1. Bonjour José,
    Voici un texte plein de plaisirs et , à la la fois , de douceurs. Il est assez clair que Poussy, c'est bien, mais bon, il y a mieux. Nous rentrons alors dans le débat suivant: être vieux, c'est quoi? voire même "quand" suis-je vieux? Tu traites avec douceur le sujet du désir et, qui plus est, du fameux "quand dira-ton" (de la différence d'âge). Tu n'hésites pas de parler de la mort, un de ces hivers prochains. Si je ne connais pas le couleur maitresse, en tout cas, elle est vive.
    Alors, pourquoi ne pas proposer un voyage au jardinier? La Grèce, par exemple, où (paraît-il), les plages invitent à une nouvelle jeunesse? Imaginer que Maxime soit homosexuel est une autre piste, peut-être moins amusante pour Line..Ou encore Line pourrait être inviter chez son fils en Nouvelle-Zélande?
    Très chouette texte en tout cas car tu l'as dynamisé.
    A bientôt et joyeux Noël!

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  2. Bonjour José,
    Ton texte m'a touché . Les réflexions sont pertinentes.
    J'épingle des phrases comme ... quand ce n'est pas le corps qui le rappelle ce sont les évènements. " ... quand une ado habite un corps qui ne lui correspond pas. Pour moi , le fond du texte est mélancolique. Le dernier § sur l'automne est SUPERBE.
    Pourquoi Maxime est triste? Que cache t'il? Cette attirance est-elle vraiment réciproque? Je m'inquiète pour Poussy qu'est-elle devenue?
    Merci et bonne fin d'année.
    Nadera

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  3. Bonjour José,
    C'est une véritable déclaration d'amour à la vie. N'est-ce pas toujours plus plus vrai, plus fort, plus excessif quand le temps de vivre ces choses est plus court, plus incertain? Oui, c'est très touchant mais est-ce vraiment plus réel. Comment vas-tu nous prouver cela ?
    Tu as le ton, et le don, pour le dire et pour l'écrire.
    Comment cet amour pourra-t-il se traduire et exister envers et contre tout, envers et contre tous ?
    Est-ce ici l 'endroit de rappeler que les commentaires de Liliane répondent aux questions : couleur mauve (deuil, par exemple),
    Il est aussi possible de cliquer à droite sur le nom de Liliane pour savoir quelle type de questions sont attendues : ici, des questions commençant par Comment ? Je peux peut-être paraître désagréable, ce n'est sûrement pas mon but mais je crois que c'est de l'intérêt de chacun et je suis suffisamment ancienne dans les blogs de Liliane pour en comprendre le fonctionnement et partager mon expérience. Je ne vise pas particulièrement José mais je ne souhaite pas écrire un article dans mon blog pour avoir l'air de donner des leçons. Chacun reste libre d'en tenir compte ou pas.
    Je vous souhaite une belle fin d'année 2023 que, de mon côté, je ne regretterai pas, et un 2024 plein d'expériences nouvelles constructives, poétiques, artistiques, spirituelles, etc.
    Bien amicalement,
    Gisèle

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  4. Bonjour José,

    Un monologue intérieur qui nous en apprend beaucoup sur Line et sur son entourage. Les réflexions sur la vieillesse et la mort qui se profile sonnent juste sans tomber dans le mélo. Il y a dans la revendication de Line au plaisir et dans son évocation du désir l’expression d’une femme saine qui ne se laisse pas embarrasser par les préjugés. Des détails à peine exprimés ancrent le texte dans une réalité concrète, je pense notamment au fait que Line est arrière-grand-mère, ce qui suggère de manière conventionnelle un retrait de la vie active et, bien entendu de la vie affective et sensuelle. Il y a aussi ce détail qui fait sourire : sa fille pourrait négliger l’anniversaire de sa mère pour garder sa propre petite-fille. Pourtant là, j’ai un petit souci de vraisemblance : on peut supposer que si Line a l’intention d’organiser une grande fête pour son anniversaire, elle fera cela en W.E. et que toute la, famille y sera à la fois conviée et présente, toutes générations confondues.
    Je partage volontiers l’enthousiasme de Nadera à propos du paragraphe sur l’automne à la fois descriptif et philosophique.
    Deux questions.
    Qui est Adeline ? On ne l’a encore jamais rencontrée. Le texte serait plus porteur si tu parlais des funérailles d’une personne dont on saurait quelle sont ses liens avec Marceline. Ou alors, en parler dans ce texte-ci. Ce pourrait par exemple être une voisine avec qui elle avait des rapports amicaux et chez qui Maxime faisait aussi des petits travaux. Tu pourrais rajouter un court échange par-dessus les haies dans le chapitre précédent pour installer ce rapport entre les personnages.
    Quel est le métier d’Alexis ? Est-ce un métier qui aurait pu le décoincer ou, au contraire renforcer son intransigeance ?
    Enfin, je regrette un peu que le texte soit essentiellement théorique. Je pense que tu aurais pu situer ce monologue intérieur dans le contexte des funérailles, en entrecoupant la réflexion de détails concrets : attitudes, regards des assistants – dont Maxime – interventions des proches, musiques, étapes d’un rituel… Tu aurais largement gagné en puissance émotive. Je te conseille de revoir le texte sous cet angle au moment de la mise au point finale.
    Dans ton prochain chapitre, qui sera rouge, tu feras évoluer un(e) aide-soignant(e).

    Bon travail,
    Liliane

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