vendredi 26 avril 2024

Line Chapitre 8 (José)

Sept mois plus tard, dans la maison de Line

« Papa, tu ne pourrais pas, pour une fois, laisser paraître tes sentiments ? » s’exclame Emily. « Tante Françoise, elle, ne cache pas sa tristesse. Bientôt la boîte de Kleenex sera vide. » Françoise, entre deux sanglots, arrive à dire : « Alexis ne se laisse jamais aller. Il veut tout contrôler. » Une vieille rancœur perce dans ces mots.

Alexis sort de son mutisme. « Comme vous toutes, je suis triste, mais je suis aussi très en colère. Comment maman a-t-elle pu nous faire ça ! Ce Maxime lui a fait perdre complètement la tête !»

« Mais papa, tu n’as donc pas écouté ce que grand-mère a écrit ? »

Sur la table de la salle à manger, il y a une lettre ouverte, trouvée il y a deux jours, la dernière qu’ait écrite Line.

Emily la relit avec la voix qui par moments s’éraille :

« Mes chéris, pardonnez-moi le chagrin que je vous cause. Sans doute ne comprenez-vous pas mon geste. Je ne vous ai pas tout ditJ’ai voulu vous préserver, que la tristesse ne fausse pas nos relations. Car, entre nous, cela n’a pas toujours été simple.

Alexis, depuis ma séparation avec ton père, tu t’es enfermé dans une attitude de plus en plus rigide. Tout petit, tu disais déjà ce qui se faisait et ce qui ne se faisait pas. Tu te rappelles quand, à propos d’une fête de ton école, tu m’as dit : « Maman, tu ne sors pas comme cela ! » Tu trouvais que je m’habillais trop différemment des autres mères. Ta rigidité me blessait parfois et nous avions du mal à nous comprendre, mais je t’ai toujours aimé.

Toi, Françoise, quand tu es devenu maman à ton tour, tu ne t’es plus intéressée qu’à ta famille. Tu m’appelais quand tu avais besoin d’aide. Ce fut surtout le cas quand les jumeaux sont nés alors que ton premier enfant n’avait pas trois ans. J’étais  la solution de secours qu’en temps ordinaire tu oubliais. Mais cela me faisait plaisir de t’aider et, même si notre relation s’est un peu distendue, toi aussi je t’ai toujours aimée.

Et puis il y a mon rayon de soleil, mon Emily, dans laquelle je me suis toujours retrouvée. » En lisant ces mots, Emily a dû réprimer un sanglot. Attestant de ces paroles, alors que toutes les personnes assemblées sont vêtues de gris, Emily porte une tenue colorée. Elle se donne le temps de se ressaisir pour lire la suite : « Pour toi aussi, ma chérie, il a été difficile d’accepter l’entrée de Maxime dans ma vie. Mais ses attentions à mon égard t’ont vite persuadée de sa sincérité.

Ce que vous ignorez tous, et même Maxime ne l’a su qu’au tout dernier moment, c’est que depuis trois ans j’ai une leucémie. À mon âge, l’évolution est lente. Dès le départ, je me suis opposée à toute thérapie. J’ai choisi une vie pleine, même plus courte. J’ignorais la joie qu’elle m’apporterait encore. Pendant mon hospitalisation, il est apparu que la maladie avait subitement progressé.

Je me refuse à être une charge pour quiconque et à souffrir inutilement. Comme Maxime se trouve dans la même situation, nous avons décidé d’y mettre fin.

Vous vendrez la maison et en partagerez la valeur entre vous, Françoise et Alexis. L’argent liquide sera partagé entre mes petits-enfants. L’aigue marine que Maxime m’a offerte est pour Emily.

Le notaire vous explicitera tout cela.

Ma dernière demande est que vous dispersiez nos cendres, au même endroit, dans une clairière du bois derrière la maison. Si vous venez vous y promener, vous nous retrouverez dans les plantes sauvages et entendrez nos voix dans le bruit des feuilles et le chant des oiseaux.

Je vous aime. Tout disparaît, seul l’amour subsiste.

Line. »

Dans la chambre à coucher, Line et Maxime étaient étendus sur le lit, vêtus de leurs plus beaux habits, se tenant par la main. Une bouteille d’un très bon Bourgogne et des boîtes de somnifères et de tranquillisants vides se trouvaient sur la table de nuit.

Un peu perdu, Poussy, qui délaisse ses croquettes, erre dans la maison, sans même miauler. Emily le sent se frotter contre elle, le prend dans les bras et dit : « Poussy ! Ne te tracasse pas. Je vais prendre soin de toi. »

 

6 commentaires:

  1. Bonjour José,
    Je ne peux te proposer des questions qu'en relisant les textes du début. En effet, comment Alexis peut-il se trouver dans la maison de sa mère le lendemain matin du double suicide alors qu'il habite en Nouvelle Zélande. Soit il est revenu lors de l'hospitalisation de sa mère, soit il s'est passé plus de temps et il est revenu vivre au pays mais alors Maxime et Line ont vécu "maritalement" et l'on ne peut le passer sous silence.
    Qui a découvert les 2 corps ? Comment toute cette famille, même Françoise, la sœur de Line que, selon mon souvenir, elle ne voyait pas beaucoup, peut-elle se trouver sur place aussi vite ? Je crois que l'ambiance serait encore bien plus lourde, s'il s'était passé plusieurs jours entre le suicide et la découverte des corps. Ce qui n'est évidemment pas un but en soi. J'ai besoin d'un repère dans le temps.
    On est loin du happy end. Mais tout le développement à propos des différents membres de la famille, présents ou pas, fait qu'on ne s'attend vraiment pas à cette terrible fin avant la lecture de la lettre..
    Bravo José !
    Gisèle

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    1. En effet , Gisèle, il y a un problème de chronologie que je vais réparer. Bien observé !
      Françoise est la fille de Line (et donc la sœur d'Alexis) qui elle est restée au pays et si elle ne voyait pas beaucoup sa mère c'est à cause de ses petits-enfants qui l'occupent beaucoup.
      Quant à la découverte des corps, j'aurais dû expliciter que n'ayant pas des réponses à ses appels téléphoniques (et vu le fait que le dernier voyage de Line s'étant mal déroulé et l'ayant laissé fatiguée aucune nouvelle absence n'était prévue) Françoise avait demandé à Emily de passer voir si tout allait bien. Ayant les clés, c'est elle qui a découvert les deux corps et la lettre.
      Merci pour ta lecture attentive et tes remarques pertinentes.
      José

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  2. Bonsoir José,
    Ha , mon dieu, je ne m'attendais quand même pas à ça! Bref, bonne trouvaille! J'ai cherché une faille et je n'en ai pas trouvé. Au début, tu nous fais languir , bien joué. J'ai un peu de mal à resituer, qui est qui, mais je suppose que c'est moi qui suis fatigué. Il serait peut-être utile de préciser la quantité et la qualité des médicaments pris, pour être très précis. Citer le nom du notaire aussi, dans la même perspective. Donc si je comprends bien , Line n'a pas été piquée en Egypte? c'est bien son état de santé dont il est question qui explique cette situation, n'est-ce pas? Au fait, qui a découvert les deux ...cadavres? quelle a été sa réaction? Et le Parquet a donc du "descendre"? Comment ça c'est passé? Stress?
    Il etait jardinier: quelles fleurs souhait-ils? des immortel?
    Bien mené en tout cas ! Vraiment!
    A bientôt
    Patrick

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    1. Merci Patrick.
      Oui, Line a bien été piquée mais l'infection qui en a suivi n'a fait qu'accélérer la dégradation de sa santé qu'elle avait, par délicatesse, cachée à tous.
      Pour la découverte des corps tu verras l'explication dans ma réponse à Gisèle. Emily a été profondément triste mais c'est aussi une femme forte, comme sa grand-mère, aussi ne s'est-elle pas laissé accabler par le chagrin et a-t-elle prévenu la police et tous les siens.
      Le retour assez rapide de son père, Alexis, peut s'expliquer par le fait que, pour des raisons professionnelles, il avait dû se rendre à Paris lorsque sa fille l'a prévenu.
      Bien sût la police a dû venir faire les constations mais la situation était bien claire (et corroborée par le corps médical).
      Pas de fleurs coupées donc mortes, juste celles bien vivantes de la clairière. Cela leur correspond mieux tu ne trouves pas ?
      Merci pour ton commentaire élogieux.
      Amitiés,
      José

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  3. Bonjour José,
    Superbe chute! J'ai été surprise par cette fin tragique.
    L'amour les a accompagné jusqu'à la mort.
    Ils se sont donné rdv pour un dernier voyage ensemble.
    Astucieux la lettre . En lisant le texte j'ai été touchée ( gorge serrée, les larmes qui montent...). Le geste de Maxime est un acte d'amour supplémentaire qu'est-ce qu'il faut de plus pour convaincre ceux qui en doute encore? Seront- ils enterrés dans le même cimetière?
    Bravo!
    Merci.
    Bien à toi.
    Nadera

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  4. Bonjour José,

    Un superbe dénouement, à la hauteur de l’ensemble de la nouvelle. L’émotion est là, pudique et forte. Particulière réussite : la rupture de ton entre l’agitation désordonnée du début qui se reflète dans la nervosité de l’écriture et l’apaisement apporté par la lecture de la lettre. C’est un coup de maître.
    Exceptionnellement, je suis moins rigoureuse que tes compagnons de route. Tu as déjà largement dépassé le quota de mots pour ce dénouement. Nous ne sommes pas dans un roman policier et les détails de l’enquête ne me semblent pas nécessaires. Ils risqueraient même de polluer l’émotion. Par ailleurs une pirouette dans le temps suffirait à justifier le fait que les membres de la famille soient rassemblés. Tu pourrais mettre en exergue de ton texte : X mois/ans… plus tard… A toi de choisir le délai heureux que tu accordes au couple.
    Pour la mise au point finale, je te conseille une relecture attentive, quelques modifications tenant compte des remarques et suggestions et le découpage en chapitres de 700 mots maximum. Ce ne sera pas un, travail bien lourd, amis le plus dur, ce sera de sacrifier certains passages pour arriver aux 700mots. Je suis consciente de la rigueur de cette contrainte dictée par ma lecture-spectacle, mais rien ne t’empêche de sauvegarder une version complète.

    Bon travail,
    Liliane

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