Plus fort que tout.
Introduction
Je me
réveille lentement. J’adore cette sensation de douce chaleur, cet
engourdissement , cette absence de toute douleur. Qu’on est bien dans un
lit douillet, sous la couette !
J’entends
la pluie qui fouette la fenêtre par vagues et cela me berce.
Ma hanche
gauche sur laquelle je repose m’occasionne une gêne qui s’intensifie
progressivement et me pousse à me lever.
J’enfile
mon peignoir de soie sur mon pyjama en pilou et descend précautionneusement
l’escalier.
Pour mon
âge, septante-quatre ans, je suis assez en forme et fière de moi. Il n'empêche
que les articulations n’ont plus la même souplesse et, malgré ma pratique du qi
gong, la mise en route est parfois laborieuse.
Je vais
dans la cuisine me préparer un café bien corsé, mon premier plaisir de la
journée. Poussy vient se frotter contre mes jambes. Je le caresse et l’entends
ronronner. Sa gamelle est presque vide. Je la remplis de croquettes et me
baisse pour prendre sa coupelle d’eau afin de la renouveler. Aïe !
Décidément je suis rouillée aujourd’hui ! Mais je ne dois pas m’écouter.
Trop se dorloter est le meilleur moyen pour perdre de son autonomie. Et mon
autonomie, moi j’y tiens ! C’est ma vie !
Je vais
jeter un coup d’œil au salon qui communique avec la véranda pour voir l’état du
jardin. Je me sens bien dans cette pièce. Elle est intime avec ses
gros fauteuils à oreilles, les bibelots qui s’y entassent, les peinture et
dessins qui ornent les murs et tous les livres qui remplissent la bibliothèque.
Mais elle est aussi ouverte sur l’extérieur, envahie de plantes vertes qui
s'harmonisent avec celle du jardin. Le vent et la pluie ont couché les asters
et fait tomber pas mal de pétales des dahlias et des roses. Mais un rayon de
soleil vient soudain égayer ce paysage et faire étinceler les gouttes
accrochées aux branches. La beauté de la nature me touche toujours au cœur.
Je commence
à avoir faim. Je vais aller faire ma toilette, m’habiller, puis prendre mon
petit-déjeuner. C’est sans doute le repas que j’apprécie le plus. Je dévore une
tartine, rôtie ou pas, tout dépend de la fraîcheur du pain, avec de la maquée
ou du fromage d’abbaye en tranches, suivie d’une seconde avec de la confiture
ou du miel. Et je termine par un fruit de saison, si possible de provenance
locale. C’est mon côté écologique. D’ailleurs je déteste le gaspillage et le
suremballage. Je reconnais cependant que j’aime beaucoup les kiwis jaunes qui
viennent de Nouvelle-Zélande, là où vit mon fils aîné. Pas très logique tout
ça ! Je me demande comment il va. Il est toujours très occupé par son
métier. C’est d’ailleurs en bonne partie pour cela que sa femme l’a quitté. Il
me donne peu de nouvelles de lui. J’en ai plus par Emily, sa fille, ma
petite-fille de vingt-six ans. Elle est mignonne comme un cœur et jolie, moitié
européenne, moitié maori. Et intelligente ! Elle, elle me contacte
régulièrement par Zoom.
C’est pas
tout ça, je rêvasse. Pas question de traîner ce matin. Je dois aller à
l’académie pour mon atelier de peinture puis voir Juliette et l’accompagner
faire quelques achats.
Ne pas
oublier de prendre mes pinceaux et ma boîte de couleurs. Et les cachets que je
dois prendre avant mon repas de midi.
Un dernier
regard dans le miroir pour juger de mon apparence. Cette jupe marron et bleu
foncé commence à se défraichir. Il va falloir penser à la remplacer. Mais mon
chemiser à petites fleurs bleues et le cardigan lavande sont parfaits. J’ai mis
mes molières marron et des chaussettes émeraude. Je vais passer ma cape poncho
rouge et mettre mon petit chapeau cloche de la même couleur. Je sais que mon
look ne passe pas inaperçu mais ça me plaît et je m’y reconnais totalement.
Comme je suis rousse, on me prend parfois pour une anglaise. God save the
Queen !
1
Que cela fait du bien de se sentir porté et
massé par l’eau ! Denise, dans le couloir voisin, aligne les longueurs de
bassin. Elle a toujours besoin d’aller au bout de ses forces, peut-être pour se
prouver que le temps n’a pas réellement d’emprise sur elle. Moi, je n’ai rien à
me prouver. Je suis juste là pour profiter du moment. J’aime alterner quelques
longueurs avec du barbotage et parfois faire la planche.
Cette
piscine a vraiment du charme. Les carreaux bleus du bassin, éclairés par la
grande verrière qui nous surplombe, donnent l’illusion de nager dans une eau
turquoise. Dommage qu’il y ait cette odeur de chlore et que ce soit si bruyant.
Aux clapotis de l’eau remuée par tous ces bras et ces jambes, au bruit que font
les plongeurs, s’ajoutent les cris de joie et d’excitation des enfants et des
ados. Tous ces sons sont répercutés et amplifiés par les murs, le verre et
l’eau. J’en ai assez. J’attends que Denise arrive à ma hauteur pour lui
dire : « Moi, je sors. On se retrouve à la
cafétéria ? » Question purement de principe car c’est là que nous
achevons à chaque fois notre séance.
Je déguste
un Picon vin blanc quand Denise me rejoint. « Et bien, tu t’y mets
tôt ! me dit-elle.
- À onze
heures presque trente, on a bien le droit de se faire un peu plaisir.
- Ne
commence pas comme Elisabeth ! Depuis que son mari l’a quittée et que son
fils est mort, elle boit beaucoup trop. L’autre jour encore je l’ai trouvée à
moitié éméchée et c’était le tout début d’après-midi.
- Tu sais
bien que je ne suis pas comme cela. Au départ de Georges, j’ai traversé une
période difficile. Se sentir larguée pour une femme plus jeune est dur à
encaisser. Alexis venait de partir pour la Nouvelle-Zélande et Françoise
consacrait tout son temps et son attention à ses trois enfants, surtout que les
derniers sont des faux jumeaux. Je n’ai pas baissé les bras, j’ai continué à
travailler. Mon emploi de vendeuse en parfumerie m’obligeait à prendre soin de
moi. Et je n’ai pas cherché dans l’alcool l’oubli ni du réconfort. »
N'ayant pas
envie de continuer sur ces sujets, j’enchaîne : « Je déteste cette
odeur de chlore qui colle à la peau malgré la douche. Vivement l’été !
C’était si bon de se baigner en Grèce, dans cet infini de bleu !
- Je ne
sais pas si c’est parce que je ne connais que la mer du Nord mais, moi, cette
piscine me convient parfaitement.
-Oh
zut ! J’oubliais. Je finis vite mon verre puis j’y vais. Maxime, mon
voisin, vient en début d’après-midi pour me donner un coup de main au jardin.
Et je dois encore faire quelques courses. »
Rentrée à
la maison, lorsque je veux déposer mes commissions à la cuisine, je
m’écrie : « Mais Poussy qu’as-tu fait là ! » J’ai eu
le malheur d’oublier un paquet de chips sur le plan de travail. Le chat l’a
fait tomber et l'a éventré, répandant tout le contenu sur le sol.
Je mets
vite au réfrigérateur tout ce qui est périssable et je commence à nettoyer
lorsque retentit la sonnette.
J’ouvre et
m’exclame : « Bonjour Maxime, déjà là ?
- Il est
presque quatorze heures, répond-il, surpris par mon accueil.
-
Excusez-moi mais je suis assez énervée. Poussy a fait des bêtises et je suis
occupée à les réparer.
- Je vais
vous donner un coup de main. »
En rangeant
balai et aspirateur, Maxime me dit : « Je vais passer le torchon
car il y a des traces de graisse sur le carrelage et vous pourriez glisser.
- Je peux
le faire.
- Laissez,
ce sera vite fait. »
Vers
dix-sept heures, il a fini de tailler les haies. Il a même bêché une petite
parcelle dans laquelle je désire faire quelques plantations. La journée est
splendide, il fait chaud. Maxime a ôté sa chemise et travaille en singlet.
Quand il
rentre, je lui dis : « Vous pouvez aller vous rafraîchir dans la
salle de bain. Mais peut-être voudriez-vous boire d’abord quelques chose, une
limonade, une bière ?
- Une bière
fraîche, ce ne serait pas de refus, dit-il en s’asseyant. »
Ses bras et
ses épaules sont rougis et couverts de gouttelettes de sueur.
Soudain je
me surprends à être troublée par ce corps d’homme. C’est ridicule, je le sais,
moi qui ai septante-quatre ans et lui qui n’en a pas quarante. Surtout ne rien
en laisser paraître.
« Désolée,
je n’ai pas de chips à vous offrir. C’est la faute à Poussy.
- Ne vous
inquiétez pas. Je n'en raffole pas »
2
Assister aux funérailles d’Adeline me déprime. Nous
sommes allées dans les mêmes écoles. Elle n’était mon aînée que de quelques
mois. En janvier dernier, elle me disait : « N’oublie pas !
Réserve le dix-huit juin, c’est un samedi. Je vais fêter dignement mes
septante-cinq ans. Qui sait si j’aurai l’occasion de le faire pour mes
quatre-vingts. Alors profitons-en ! » La pauvre, elle est partie
avant. C’est le problème quand on vieillit, on voit petit à petit disparaître
ses connaissances.
La célébration religieuse a été vite expédiée. Le
nouveau curé n’a pas eu le temps de connaître Adeline. Du coup il n’a dit que
des banalités à son sujet.
Il n’y a que des vieilles dans cette salle
paroissiale ! J’en connais plusieurs que j’ai à peine reconnues tant l’âge
les a changées. Et leurs conversations sont d’un ennui mortel !
J’ai souvent l’impression d’avoir tout au plus
quarante ans. Mais ce n’est plus le cas. Quand ce n’est pas le corps qui le
rappelle, ce sont les événements qui s’en chargent.
Je n’ai encore rien prévu pour fêter mes
septante-cinq ans. Et je me dis que la vie dont je dispose encore paraît bien
courte. Il y a tant de choses que j’aimerais faire, tant d’expériences que
j’aimerais vivre. Si j’organise une petite fête de famille, je me demande si
Françoise, ma fille qui est grand-mère maintenant (cela veut donc dire que je
suis arrière-grand-mère ! presque un fossile), pourra y assister. Je
l’entends déjà me dire qu’elle doit s’occuper du bébé. Son autre fille, la
tante du nouveau-né, ne s’intéresse qu’à son compagnon et à sa carrière. Je ne
l'ai plus vue depuis son mariage. Et Alexis, mon fils, est toujours de l’autre
côté de la planète.
Je pourrai aussi fêter cela avec Maxime. Nous
sommes de plus en plus proches et l’écart d’âge entre nous ne semble pas le
gêner. Il y a pourtant des choses qu’il ne m’a pas encore dites, un silence et
peut-être même un secret qu’il retient. Par peur ? Par manque de
confiance ?
Il parle justement à Sylvie, la voisine d’Adeline.
C’est vrai qu’il va aussi parfois chez elle pour quelques travaux de jardinage.
Il me regarde et me sourit. Et c’est la vie qui revient dans cet endroit
sinistre.
J’ai retenu que son anniversaire tombe le mois
prochain. Mais je n’en connais pas la date précise. Oserais-je l’inviter à
manger ? J’espère qu’il me confiera ce qui l’attriste et met encore une
distance entre nous.
Si les choses évoluent comme je l’espère, comment
réagiront les autres ? Le jugement de mes amies ne m’importe guère. Si
elles m’aiment vraiment, elles accepteront la situation. Sinon cela me prouvera
que cette amitié n’est que superficielle. Ce qui me tracasse plus ce sont les
réactions de Françoise et surtout celles d’Alexis. Il est parfois tellement
vieux jeu et coincé, mon fils, si différent de moi ! Le monde
professionnel de la finance ne l’a pas aidé à évoluer. Plus il vieillit plus il
devient conservateur. Emily, sa fille, me l’a assez souvent répété. Elle, elle
me comprendra, j’en suis sûre. Elle se réjouira pour moi. Par contre j’ignore
complétement ce que sera la réaction des enfants de Françoise. Ce n’est pas
parce qu’on est jeune qu’on est plus tolérant.
Mais je trace peut-être des plans sur la comète.
C’est vrai que la solitude me pèse. Et que mon corps a encore envie et même
besoin d’être touché, caressé. Oui, je veux encore connaître le plaisir !
En quoi cela serait-il mal ? Je n’éprouve pas le besoin d’aller me
confesser. Oui, Maxime me trouble. Son corps hante mes rêves et trouble mon
sommeil. J’ai devant lui l’âme d’une adolescente, pleine de désir et de
crainte.
Est-ce ridicule lorsqu’on est à l’automne de sa
vie ? L’automne n’est-il pas la saison où les couleurs se font les plus
vives et chatoyantes avant le froid de l’hiver et la mort ? C’est aussi la
saison des récoltes, des fruits mûrs. J’ai encore et toujours envie d’y mordre
à pleines dents. Je veux vivre !
3
Line au téléphone :
« - Bonjour Maxime ! Cela
fait longtemps que je ne t’ai pas vu. La dernière fois que tu es venu m’aider,
c’était il y a près de trois semaines. Pour le moment le jardin ne demande pas
trop d’entretien mais j’aimerais que nous arrangions le parterre des annuelles.
Certaines plantes devraient être remplacées. Nous pourrions passer à la
pépinière pour en choisir de nouvelles. J’ai pensé aussi agrandir un peu le
potager et le coin des petites baies, mais pour celles-ci ce n’est sans doute
pas le moment idéal de plantation. N’empêche, nous pourrions déjà y réfléchir.
Mais je parle, je parle, toujours un peu trop,
et je ne te laisse pas t’exprimer. Comment vas-tu ?
- Ça va. J’ai juste été un peu occupé et
fatigué. J’aurais dû t’appeler, Line. Excuse-moi.
- C’est bientôt ton anniversaire, je pense. Si
tu venais le fêter chez moi. Un petit repas sympa ? Quand cela
t’arrangerait-il ?
- C’est gentil mais il ne faut pas te
déranger.
- Ça ne me dérange pas du tout. Au contraire,
cela me fera plaisir.
- Et bien disons jeudi prochain, le quatorze.
Cette semaine ce ne sera pas possible pour moi.
- C’est noté. Je m'en réjouis déjà. »
Le jour convenu, Line et Maxime sont attablés.
Le repas s’achève.
« - Tu as vraiment mis les petits plats
dans les grands, Line. Il ne fallait pas te donner tant de peine pour moi.
- Je suis heureuse que cela te fasse plaisir.
Mais tu ne manges pas beaucoup. Ce n’est pas tout à fait à ton goût ? Je
trouve que tu as un peu maigri. Tu me sembles fatigué et pas trop en forme. Ça
va ?
- Toi par contre, tu es toujours superbe.
Cette robe rouge te va à ravir. Tu devrais porter plus souvent du rouge.
- Comme rousse, je me disais que le rouge ne
me convenait pas. Mais j’avais sans doute tort. »
Après un silence, Line continue. « Tu ne m'as
pas répondu. Je t'en prie, ne change pas de sujet. Tu sais, tu peux tout me
dire. Le vin que nous avons bu me donne le courage d‘avouer à quel point je
tiens à toi. Je suis folle, sans doute, de me sentir attirée par toi. Tu vas
t’enfuir et te dire : Qu’est-ce qu’une femme comme elle, à son âge, peut
espérer d’un homme qui n’a pas encore quarante ans ? Je ne te demande
rien, Maxime. Je n’attends rien d’autre que ce que tu m’as déjà apporté.
J’espère juste que nous pourrons nous rapprocher encore, que tu auras
pleinement confiance en moi, comme moi je l’ai déjà en toi. »
Cette fois un long silence suit les paroles de
Line. On n’entend que Poussy miauler doucement en venant se frotter
alternativement sur les jambes de Line et celles de Maxime.
« - Line, je dois te dire quelque chose. Si tu
n’as plus eu de mes nouvelles ces derniers temps, c’est que je ne pouvais pas
t’en donner. J’avais des rendez-vous et je n’avais pas envie de t’en parler.
Depuis près de deux ans j’ai la certitude d’avoir une maladie orpheline,
quelque chose qui s’apparente à la sclérose en plaques ou à la maladie de
Charcot, une sclérose latérale amyotrophique. Tous ces termes m’étaient jadis
inconnus mais ils font désormais partie de mon bagage. »
Émue et craignant d’embarrasser Maxime, Line
demande alors : « - Comment cela se manifeste-t-il pour toi ?
- Il y a des moments où j’éprouve
de grandes fatigues et aussi des douleurs. Puis ça passe et un jour ça revient,
un peu plus fort.
- Il y a des traitements ?
- Rien d’efficace. Il n’y a que des
médicaments pour atténuer les douleurs et espérer retarder un peu l’évolution.
Tous les mois je dois passer des examens, voir mon sang remplir des tubes, puis
attendre les résultats.
Tu sais, Line, un médecin m’a dit de but en
blanc que mon espérance de vie se situe entre quinze et vingt ans, à moins
qu’on ne trouve le remède miracle. Alors comment pourrais-je construire une
relation avec une femme ? Qui voudrait d’un homme condamné à
dépérir ?
- Maxime, mon espérance de vie est la même que
la tienne. Mais d’ici là, toi et moi sommes vivants ! Profitons-en !
Nous pourrons, un jour, quand cela deviendra nécessaire, prendre soin l’un de
l’autre puis, plus tard, faire appel à une aide-soignante.
- Drôle d’avenir qui nous attend, tu ne
trouves pas ?
Tu es une femme extraordinaire,
Line ! Je peux te prendre dans mes bras ? »
Le sourire qui illumine alors le visage de
Line est une réponse explicite. Ces deux êtres qui s’embrassent avec douceur et
passion s’étreignent comme des naufragés qui s’accrochent à une planche de
salut.
4
Après notre moment d’abandon et de folie, j’ai
cru que Maxime allait m’éviter. Au contraire nous ne nous sommes jamais autant
vus que pendant les semaines qui suivirent. De façon tacite et par une
délicatesse réciproque, nous n’en avons pas reparlé. Cependant aucune gêne ne
venait assombrir le plaisir que nous avions à nous retrouver.
Nous sommes allés aux pépinières. Devant des
plants de dahlia, Maxime m’a dit :
« Line ,
regarde cette variété, ce port épanoui et majestueux ! Et puis cette couleur !
Cet orange est magnifique, lumineux, solaire, … comme toi. Qu’en dis-tu ?
- J’ai lu
que les dahlias reviennent à la mode. Moi, je les ai toujours aimés.
- Tu sais
que dans le langage des fleurs, le dahlia représente la reconnaissance,
l’allégresse et l’amour ?
- Tu me
surprends, Maxime ; tu connais tant de choses sur les fleurs. Mais je
retrouve bien là ta délicatesse et ta sensibilité. Cela me touche, plus que tu
ne le penses. »
Ces
semaines ont été merveilleuses mais pas sans conséquences.
Ce matin,
je retrouve Denise à la piscine qui me dit tout de go :
« Il
paraît que tu t’amuses bien ces derniers temps ! Et toujours en compagnie
de Maxime ! Elisabeth vous a vus à la brasserie du Passage. Vous étiez
très proches, m’a-t-elle dit. Et moi, je vous ai aperçus au café du Commerce.
Attention, Line ! On commence à jaser. Elisabeth m’a demandé si Maxime
tarifait ses charmes, c'est un bel homme et jeune encore ! »
J'ai
l'impression de me vider de tout mon sang, un grand froid m'envahit. Je dois
prendre une profonde respiration pour dire :
« Non
mais pour qui me prenez-vous ? Vous pensez que Maxime est un escort que je
paie ? Vous n’êtes que de vieilles femmes aigries et jalouses. »
Je pars,
tremblante de colère et d'indignation. À peine rentrée, j’appelle
Maxime :
« Maxime,
tu peux venir rapidement s’il te plaît ? J’ai besoin de te parler.
- Moi
aussi, Line. Cela te va si je viens vers dix-sept heures ?
- Parfait.
À tout à l’heure. Je ferai du thé. »
Quand
j’ouvre la porte, je vois Maxime tenant un gros bouquet d’œillets orange.
« Entre !
Quel beau bouquet ! Je les mets dans un vase et nous prépare du
thé. Un darjeeling, ça te convient ?
- Parfait
pour moi. »
Alors que
nous sommes assis au salon, je demande à Maxime :
« Et
ces œillets, dis-moi, quelle signification ont-ils ?
- Tu dois
t’en douter, c’est un aveu amoureux.
- Oh,
Maxime ! Ce n’est pas raisonnable.
- Nous
n’avons plus le temps d’être raisonnables. Et j’ai encore un cadeau pour
toi. »
Tout en
parlant, Maxime sort de sa poche une petite boîte qu’il ouvre et qui contient
une superbe bague ornée d’une aigue marine. Poussy, qui trouve que nous ne nous
occupons pas assez de lui, vient se frotter contre nous.
« Cette
bague me vient de ma mère. Elle me l’a léguée pour que je l’offre un jour.
C’est la pierre de l’amour et de la fidélité. »
Maxime la
prend et essaie de la passer à un doigt de ma main droite.
« Tu
vois, lui dis-je. Ça ne passe pas ! Cela me touche infiniment mais ce
n’est pas possible. »
Sans se
démonter, il essaie sur l’annulaire de la gauche.
« Et
voilà ! C’est parfait. Elle semble faite pour toi.
- Mais
Maxime, j’ai vu Denise qui m’a rapporté des propos à notre sujet qui m’ont
bouleversée.
- Je sais
ce qu'on raconte et je m'en fiche. Qu’avons-nous besoin d’écouter les
autres ?
- Il y a les
personnes qu’on connaît mais il y a aussi la famille ! Je peux me
brouiller avec des connaissances mais pas avec mes enfants !
- Et
bien... et si je les rencontrais ?
- Tu ne
doutes de rien, toi ! J’y ai pensé aussi et je crois que le mieux serait
que tu rencontres d’abord Emily, la fille de mon fils aîné, Alexis. C’est la
plus ouverte de la famille et, si elle t’apprécie, elle sera une alliée pour
convaincre les autres. »
5
Depuis qu’Emily est arrivée, une atmosphère
tendue règne dans la maison. Poussy la ressent aussi car, alors qu’il se montre
habituellement collant, en quête de caresses, il ne fait qu’une brève
apparition, le dos rond, avant de s’enfuir.
Maxime a
les traits tirés. Line suppose que l’inquiétude a dû troubler son sommeil. En
fait, depuis trois jours, de vives douleurs lui traversent bras et jambes. Ce
sont comme des aiguilles qui s’enfoncent dans sa chair et la taraudent.
La
conversation trop banale commence à lasser Line. Elle voudrait parler mais
craint de brusquer sa petite-fille.
Emily dit
alors :
« Tu
sais, grand-mère, je t’aime très fort et j’ai toujours eu confiance en toi. Je
t’ai confié des choses que tu es la seule à connaître. »
Dans le
silence qui suit, Line songe à ce jour où Emily lui a révélé être attirée par
une personne, que celle-ci soit un homme ou une femme ne lui importe guère, si
elle peut l’admirer et partager avec elle ses pensées les plus intimes, es
rêves.
Cependant
ce début ne présage rien de bon.
« Je
te connais assez pour savoir que tu n’agis pas en dépit du bon sens et en
oubliant les réalités. Mais je dois te dire qu’une de tes « bonnes
amies » a averti tante Françoise en se disant scandalisée qu’une femme
comme toi puisse se laisser berner par - je cite - un bellâtre qui ne doit en
vouloir qu’à son argent. »
À ces mots,
les traits du visage de Maxime se sont crispés et durcis.
« Bien
sûr ma tante n’a pas osé en parler à papa, connaissant son caractère
intransigeant et cassant. Aussi m’a-t-elle appelé pour me faire jouer ce sale
rôle d’intermédiaire. Sache qu’en ce qui me concerne, je ne vous juge
pas. »
S’adressant
alors à Maxime : « Excusez ma franchise, Maxime. Je ne sais presque
rien de vous mais, connaissant grand-mère, je suis persuadée que vous n’avez
pas de mauvaises intentions. »
« Quand
donc les gens se mêleront-ils de leurs affaires ? s’exclame Line. Ah, la
vie donne de rudes leçons ! Apprendre que parmi les personnes en qui j'ai
confiance, certaines parlent derrière mon dos ! Tu le sais, ma chérie, je
déteste le scandale et tout ce qui pourrait faire du mal à ceux que
j’aime. »
Livide, les
traits tirés, Maxime déclare d'une voix cassée :
« Emily,
j’aime sincèrement votre grand-mère. La vie nous a rapprochés. Comme je l’aime,
je ne souhaite que son bonheur. Je sais qu'il est lié à l’affection des siens.
Nous avons essayé d'être discrets, je pense, mais la méchanceté et la jalousie
commencent à se déchaîner. Je ne veux pas que cela vous éclabousse. Je viens de
comprendre qu’il faut me retirer. »
Et
s’adressant à Line :
« D’ailleurs,
Line, tu sais que nous n’avons pas d’avenir. Peut-être vaut-il mieux que cela
s’arrête maintenant. Je vais te faire souffrir mais tu souffrirais aussi de
perdre l’affection des tiens. Dans la vie, il n’y a que souffrances. Le seul
choix qui nous reste est celui de la dignité. »
Sur ces
mots, Maxime se lève péniblement et se dirige vers la porte d’entrée.
Line sent
un cri monter du fond de la poitrine jusqu’à la gorge. Elle s’est levée mais se
sent paralysée. Le cri reste coincé là en elle. Ses yeux se sont brouillés de
larmes.
Emily
comprend que ce qui se joue à ce moment ne la concerne pas directement.
Quand
Maxime referme la porte, Line s’effondre, secouée de longs sanglots. Emily la
serre tendrement et la berce comme un enfant dont on tente d’atténuer la peine.
Poussy est
revenu et se frotte contre les jambes de sa maîtresse. Lui aussi semble vouloir
lui apporter du réconfort.
Dans la
rue, sous un ciel jaunâtre annonciateur d’orage, Maxime se sent seul et vide.
Ce vide ne se remplit plus que de la douleur physique. Il entre dans le premier
café rencontré et commande un whisky. Il va boire jusqu’à oublier sa peine et
ses douleurs, du moins l’espère-t-il.
6
Le hublot de l’avion ne montre qu’un
moutonnement blanc qui, abolissant toute notion d’espace, me place dans un no
man’s land et suspend le temps. Je repense à ces derniers jours..
Après le
départ de Maxime, une sensation pénible s’est installée entre Emily et moi.
Après avoir essayé de me consoler, ma petite-fille s’est vite éclipsée. J’étais
profondément peinée, je ne la comprenais plus. Son manque de tact vis-à-vis de
Maxime me surprenait. N’est-elle pas foncièrement différente des autres ?
Le
lendemain, j’ai voulu en avoir le cœur net. Je l’ai appelée.
« Emily,
ma chérie, j’ai été surprise par ton attitude hier. Qu’est-ce qui se
passe ?
- Je
suis désolée, grand-mère. Je crois que j’ai réagi ainsi parce que je t’aime
très fort, plus que tous les autres membres de la famille, plus même que papa.
Je crois que j’ai peur pour toi, peur que tu souffres, peur que cette relation
ne soit qu’une illusion. J’ai eu du mal à accepter qu’un homme plus jeune
puisse être réellement amoureux d’une femme plus âgée. Moi aussi j’ai aussi des
préjugés. J’ai peut-être même éprouvé un peu de jalousie car c’est vrai qu’il
est beau et attirant Maxime. Il a un magnétisme animal qui m’a troublée dès que
je l’ai vu. Pardonne-moi.
- Je ne
t’en veux pas. D’autant que tu ne sais pas tout à son sujet. Maxime n’est pas
bien portant mais je ne t’en dirai pas plus, sans qu’il ne m’y autorise.
-
Grand-mère, dis-lui que je regrette vraiment d’avoir été cassante et que je ne
demande pas mieux que de le connaître et de repartir sur de nouvelles bases.
- Merci, ma
chérie. Je te laisse. Je vais lui parler. Je t’embrasse.
- Gros
bisous, grand-mère. »
J’ai alors
appelé Maxime, sans obtenir de réponse. Régulièrement, je composais son numéro,
en vain. En fin de journée, je suis allée à son domicile pour y trouver porte
close.
Le jour
suivant, j’ai recommencé appels et visites, sans plus de succès.
Rentrée à
la maison, inquiète, j’ai appelé les hôpitaux, les uns après les autres. C’est
au quatrième qu’on m’a confirmé que Maxime avait bien été admis aux
urgences et tranféré en neurologie.
Entrant
dans sa chambre, je l’ai trouvé relié à des baxters. Les chambres d’hôpital me
donnent toutes cette impression de blancheur aseptisée, comme si j'étais déjà
dans un sas entre le monde des vivants et l’autre. Il m'a souri.
« Je
me disais bien que je te verrais pousser cette porte, Line. Tu es si résolue
qu’aucun obstacle ne te résiste. Tu vois, je reprends du poil de la bête. Je
devrais pouvoir sortir dans quelques jours.
- Comment
t’es-tu retrouvé ici ? Que s’est-il passé ?
- Quand je
t’ai quittée, je me sentais mal tant physiquement que moralement. Je suis allé
boire. C’est idiot mais j’avais besoin de ne plus rien sentir. J’ai bu… trop.
Je ne sais plus comment je suis rentré. Mais au matin la douleur était
tellement forte que j’ai dû appeler le samu qui m’a transporté ici.
- Et que
disent les médecins ?
- Que
veux-tu qu’ils disent ? Ce sont des docteurs pas des magiciens. La maladie
évolue, un peu plus vite que prévu. Mais des accalmies peuvent toujours se
produire. Un jour ou l’autre ce sera la chaise roulante.
- Dis-moi,
Maxime, quel pays aimerais-tu visiter ?
- Pourquoi
cette question ?
- Parce
que, dès que tu quittes cet hôpital, nous partons tous les deux. »
C’est ainsi
que nous nous trouvons dans cet avion qui nous amène au Caire. En
guise de clin d’œil pour notre séjour dans la capitale égyptienne, j’ai réservé
une chambre au Royal "Maxim" Palace Kempinski. Le hall est
gigantesque tout en blanc et or. Je sais c’est un peu bling bling ! Mais
voir les yeux de Maxime briller comme ceux d’un enfant vaut bien la dépense.
Après quelques jours dans cette mégalopole, nous embarquerons sur un petit
bateau de croisière Maxime me sourit. Il me semble en meilleure forme mais je
m’inquiète de son état. Surtout je ne dois rien en laisser paraître. Nous
allons profiter au maximum des moments qui nous sont donnés.
7
Maxime rejoint Line au
bar-salon. Elle ne veut surtout pas lui montrer que ce voyage la fatigue plus
qu’elle ne l’avait imaginé et s’inquiète de ce que son compagnon éprouve. Elle
le soupçonne de lui cacher la vérité. Son épuisement se trahit par des traits
tirés et de légers tremblements des jambes. Elle l’accueille avec un sourire en
lui disant :
« - Bonjour,
trésor ! Qu’as-tu pensé de la visite ?
- C’est fantastique, mon ange.
J’ai beau avoir vu cela en photos, le voir en vrai c’est tout autre chose. Je
me suis senti tout petit. »
J’espère que Lise ne s’est pas
aperçue que j’ai failli arrêter l’excursion car mes jambes ne me portaient
plus. J’ai dû puiser dans mes dernières forces pour y arriver. Line est
tellement gentille ; je ne voudrais pas lui gâcher ses vacances.
Maxime s’exclame :
- Regarde ! Comme c’est
beau ce village ! Le mélange du vert de la palmeraie et du bleu du ciel a
de quoi inspirer des peintres. Ici le temps semble s’être arrêté. Oh ! les
couleurs que prend l’horizon quand le soleil se couche, c’est incroyable !
- Oui c’est merveilleux !
Que veux-tu boire avant d’aller à la salle de restaurant ?
- Un dry martini et toi que
prendras-tu ?
- Hum, aujourd’hui je vais
goûter à leur Alexandra. Alexandrie, Alexandra ! Ça te dit quelque
chose ? »
Le lendemain, avant de
découvrir un autre site, ils ont droit à l’attraction touristique inévitable,
la promenade à dos de chameau. Ils suivent ensuite à pied le guide quand une
douleur très vive au mollet fait crier Line. Maxime me demande ce qu’il y a.
« Je crois que je me suis
fait piquer par un taon. En tout cas, rassure-toi, ce n’était ni un scorpion ni
un serpent. »
Une zone rouge et gonflée
apparaît. Vaille que vaille Line achève la visite. Au retour, Maxime voit bien
que ça ne va pas et lui dit :.
« On va aller voir le
médecin de bord. »
Cela s’avère d’autant plus
nécessaire qu’elle commence à avoir de la température. Le médecin qui a surtout
l’habitude de soigner des indigestions et des diarrhées l’examine et applique
une pommade antibiotique avant de bander le mollet.
Au matin, après une nuit
pendant laquelle la fièvre a augmenté, le médecin constate que l’inflammation
s’est étendue et qu’une sécrétion verdâtre suinte de la zone. Au vu de son
état, il organise un rapatriement sanitaire d’urgence. Bien qu’affolé Maxime
prend la situation en main et se charge de refaire nos bagages.
L’état de Line l’inquiète.
Tout en bouclant les valises, il se demande comment cela a pu si vite
dégénérer. Un vol est en attente à l’aéroport d’Abou Simbel pour les ramener au
Caire et de là en Belgique. Dans la poche intérieure de sa valise, Maxime trouve
une carte postale oubliée. Une carte de Crète. Brusquement, il se souvient et
pense :
« Seize ans déjà ! À
cette époque, j’ignorais encore mon mal. Nous étions partis en vacances,
Corinne et moi. Nous nous aimions et croquions la vie à pleines dents. Quelques
mois plus tard apparurent les premiers symptômes. Au bout d’une longue période
d’errance médicale, le verdict a été posé, cruel et sans appel. Et ensuite la
rupture. La pauvre, elle n’a rien compris mais je n’avais pas le courage de lui
dire la vérité. »
On a rapatrié Line dans un
hôpital universitaire proche de son domicile.
« Vous savez, Line, vous
avez de la chance, dit le praticien. Quand on vous a admise, nous étions
perplexes. Votre état se dégradait et les antibiotiques restaient sans effet.
Nous avons craint, à un moment, de devoir vous amputer. Fort heureusement, un
confrère d’Anvers, spécialisé en médecine tropicale, nous a conseillés. Nous
avons dû inciser l’endroit où vous aviez été piquée pour extraire les larves
pondues par l’insecte. Nous avons trouvé le bon antibiotique et stoppé ainsi le
début de septicémie. Vous revenez de loin ! »
Maxime ne cache pas son
émotion. Dès la sortie du docteur, il enlace line en disant :
« Line, je ne conçois
plus la vie sans toi. »
Et tout naturellement et
sincèrement, elle lui répond :
« Moi non plus
Maxime ! »
8
Sept mois plus tard, dans la maison de Line
« Papa, tu ne pourrais pas, pour une fois,
laisser paraître tes sentiments ? » s’exclame Emily. « Tante
Françoise, elle, ne cache pas sa tristesse. Bientôt la boîte de Kleenex sera
vide. » Françoise, entre deux sanglots, arrive à
dire : « Alexis ne se laisse jamais aller. Il veut tout
contrôler. » Une vieille rancœur perce dans ces mots.
Alexis sort
de son mutisme. « Comme vous toutes, je suis triste, mais je suis aussi
très en colère. Comment maman a-t-elle pu nous faire ça ! Ce Maxime lui a
fait perdre complètement la tête !»
« Mais
papa, tu n’as donc pas écouté ce que grand-mère a écrit ? »
Sur la
table de la salle à manger, il y a une lettre ouverte, trouvée il y a deux
jours, la dernière qu’ait écrite Line.
Emily la
relit avec la voix qui par moments s’éraille :
« Mes
chéris, pardonnez-moi le chagrin que je vous cause. Sans doute ne
comprenez-vous pas mon geste. Je ne vous ai pas tout dit. J’ai voulu vous préserver, que
la tristesse ne fausse pas nos relations. Car, entre nous, cela n’a pas
toujours été simple.
Alexis,
depuis ma séparation avec ton père, tu t’es enfermé dans une attitude de plus
en plus rigide. Tout petit, tu disais déjà ce qui se faisait et ce qui ne se
faisait pas. Tu te rappelles quand, à propos d’une fête de ton école, tu m’as
dit : « Maman, tu ne sors pas comme cela ! » Tu
trouvais que je m’habillais trop différemment des autres mères. Ta rigidité me
blessait parfois et nous avions du mal à nous comprendre, mais je t’ai toujours
aimé.
Toi,
Françoise, quand tu es devenu maman à ton tour, tu ne t’es plus intéressée qu’à
ta famille. Tu m’appelais quand tu avais besoin d’aide. Ce fut surtout le cas
quand les jumeaux sont nés alors que ton premier enfant n’avait pas trois ans.
J’étais la solution de secours qu’en temps ordinaire tu oubliais.
Mais cela me faisait plaisir de t’aider et, même si notre relation s’est un peu
distendue, toi aussi je t’ai toujours aimée.
Et puis il
y a mon rayon de soleil, mon Emily, dans laquelle je me suis toujours
retrouvée. » En lisant ces mots, Emily a dû réprimer un sanglot. Attestant
de ces paroles, alors que toutes les personnes assemblées sont vêtues de gris,
Emily porte une tenue colorée. Elle se donne le temps de se ressaisir pour lire
la suite : « Pour toi aussi, ma chérie, il a été difficile
d’accepter l’entrée de Maxime dans ma vie. Mais ses attentions à mon égard
t’ont vite persuadée de sa sincérité.
Ce que vous
ignorez tous, et même Maxime ne l’a su qu’au tout dernier moment, c’est que
depuis trois ans j’ai une leucémie. À mon âge, l’évolution est lente. Dès le
départ, je me suis opposée à toute thérapie. J’ai choisi une vie pleine, même
plus courte. J’ignorais la joie qu’elle m’apporterait encore. Pendant mon
hospitalisation, il est apparu que la maladie avait subitement progressé.
Je me
refuse à être une charge pour quiconque et à souffrir inutilement. Comme Maxime
se trouve dans la même situation, nous avons décidé d’y mettre fin.
Vous
vendrez la maison et en partagerez la valeur entre vous, Françoise et Alexis.
L’argent liquide sera partagé entre mes petits-enfants. L’aigue marine que
Maxime m’a offerte est pour Emily.
Le notaire
vous explicitera tout cela.
Ma dernière
demande est que vous dispersiez nos cendres, au même endroit, dans une
clairière du bois derrière la maison. Si vous venez vous y promener, vous nous
retrouverez dans les plantes sauvages et entendrez nos voix dans le bruit des
feuilles et le chant des oiseaux.
Je vous
aime. Tout disparaît, seul l’amour subsiste.
Line. »
Dans la
chambre à coucher, Line et Maxime étaient étendus sur le lit, vêtus de leurs
plus beaux habits, se tenant par la main. Une bouteille d’un très bon Bourgogne
et des boîtes de somnifères et de tranquillisants vides se trouvaient sur la
table de nuit.
Un peu
perdu, Poussy, qui délaisse ses croquettes, erre dans la maison, sans même
miauler. Emily le sent se frotter contre elle, le prend dans les bras et
dit : « Poussy ! Ne te tracasse pas. Je vais prendre soin
de toi. »